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On me pose souvent cette question : mais pourquoi le funéraire ? C’est vrai ça, c’est pas gai comme secteur,  tu dois tout le temps voir des gens tristes … Ça ne te gêne pas de faire des textes pour des obsèques ? Eh bien non. C’est même plutôt le contraire, et je vais vous expliquer pourquoi.

Tout a commencé avec mon grand-oncle, Claude.

Un sacré bonhomme le tonton, un ancien prof d’informatique, qui avait fait la guerre, puis qui aimait la lecture et apprendre, toujours apprendre. Il adorait aussi partager son savoir, et alors, il racontait des histoires comme personne, mon vieux ! Et puis, républicain le type. Mais républicain extrémiste, vous voyez, du genre qui risquait l’auto-combustion s’il passait la porte d’une église. Alors forcément, pour son enterrement, on ne lui a pas fait l’affront d’une cérémonie religieuse. Il aurait été fichu de nous les jouer Jésus sortant de son cercueil rien que pour nous passer un savon !

Nous avons donc été directement au cimetière, sans cérémonie, ni chichi. C’était un jour gris et froid. Il n’y avait ni micro ni système de sonorisation, pas même une petite musique. C’est à peine si on a entendu les quelques mots – pourtant jolis – prononcés par son fils. Enfin, on l’a mis dans le caveau familial où, chacun notre tour, nous lui avons jeté une rose blanche. Et voilà, c’était fini.

75 ans dans une boîte. Il ne restait plus rien. Et cette journée, morne et sans goût ne faisait que souligner l’absurdité de cette situation. « Tout ça pour…ça ? » Aujourd’hui encore, je garde un goût amer de ces obsèques civiles. J’ai le sentiment qu’il manquait quelque chose pour rendre l’hommage qu’il méritait à ce sacré bonhomme.

Tout ça m’a donné du grain à moudre…

Entre deux, je suis devenue écrivain public et j’ai découvert la magie des cérémonies de mariage laïques. J’ai aussi assisté à d’autres obséques civiles, certaines avec des cérémonies laïques elles aussi et c’était déjà un peu mieux… enfin, disons moins pire. À mon sens, il manquait toujours quelque chose de vrai, d’authentique dans tout ça.

Quelques années après mon grand-oncle, ce fut au tour de ma grand-mère de nous quitter. Fait amusant, elle taquinait la mort depuis déjà un bon moment. Les médecins nous ont même appelés à cinq reprises pour lui faire nos adieux… Cinq ! Je ne sais pas si vous vous imaginez de ce que ça fait.

Première fois : coup de fil attristé de mon père. C’est pour bientôt, le docteur a appelé. Il faut aller lui dire adieu. Larmes, derniers baisers, petits mots d’amour étranglés… Deux jours plus tard, nouvel appel de l’hôpital : on ne comprend pas, votre grand-mère s’est complètement remise. Elle pète la forme. On ne sait pas ce qu’il s’est passé. C’est un miracle.

Et donc le coup du miracle, elle nous l’a refait quatre fois de plus Mamie, avec quelques mois d’écart, parfois même des années ! Une vraie rigolote ma grand-mère. Mais quand elle a enfin arrêté de filer des sueurs froides aux toubibs, on a beaucoup moins rigolé bien sûr. Cette fois, c’était vraiment la bonne. Il était temps de lui dire adieu pour de vrai.

Je dois vous avouer une chose : ma grand-mère est morte comme elle avait vécu, avec un sens de l’humour et du spectacle qui lui était propre. Toute sa vie, elle avait été une femme flamboyante, haute en couleurs et en cheveux (elle avait une coque laquée de dix centimètres sur la tête). Mais elle n’était pas spécialement religieuse, et nous non plus. Alors quoi ? Il aurait fallu lui faire un enterrement à la va-vite comme pour le tonton ? Non, non, non. Impossible. Not on my watch !

Comme je vous l’ai dit, cela faisait déjà quelque temps que j’étais écrivain public et ma famille m’a demandé d’assurer le service. J’ai donc rédigé son oraison funèbre que nous avons lue avec ses autres petits-enfants. Nous avons également eu la chance d’avoir à faire à une super entreprise de pompes funèbres qui nous a mis à disposition un micro, une sono et un ordinateur pour passer un diaporama de photos. Mes parents et oncles et tantes ont choisi quelques musiques. Et enfin, nous avons fait ça dans le parc cimetière d’Artigues, pas loin de Bordeaux. C’est un joli parc bien vert, plein d’arbres et de fleurs. C’était la fin de l’été, c’était une belle journée, et la cérémonie a été à la hauteur de la femme incroyable qu’elle avait été (et de ses talons… Je vous ai parlé de ses talons ?)

Après ça, j’ai décidé que je voulais offrir la même chose à mes clients

… la possibilité de dire au revoir à leur proche, église ou pas, avec ce même sentiment de sérénité, cette sensation de pouvoir continuer d’avancer dans la vie, même si la personne aimée n’est plus à nos côtés. Alors j’ai créé des offres de cérémonies pour obsèques civiles et ça a fonctionné. J’ai eu plusieurs demandes de textes, j’ai même officié quelques fois sur la région bordelaise et j’ai à chaque fois vu l’apaisement dans les yeux des familles. Et finalement, c’est ce que je retiens. Ce baume au coeur que j’arrive à leur apporter par de « simples » mots, ce début de cicatrisation. Voilà pourquoi j’aime écrire des discours et des cérémonies funéraires. Et comme vous pouvez le voir, il n’y a rien de triste dans tout ça. De plus, qu’on le veuille ou pas, la mort fait partie de nos vies. C’est comme ça. Alors autant apprendre à vivre avec, non ?

Ma grand-mère et moi